L’État finance sur vos impôts l’élevage de faisans et perdrix, uniquement destinés aux chasseurs. Un système inepte et cruel à tous les niveaux.
Dans l’été caniculaire, les boxes étroits de milliers de couples de perdrix sont en surchauffe. Nulle échappée possible du réduit, si ce n’est un peu d’air pris aux sorties des » parquets » de ponte. Un véritable enfer nu révélé par notre enquête.
Des batteries de cages et volières à perte de vue, où règne une forte odeur mêlant la putréfaction des animaux morts et les fèces des survivants. Les couples de perdrix sont en piteux état dans d’étroits boxes métalliques où ils suffoquent l’été et se mutilent en tentant en permanence de s’échapper. Les plumages, censément chamarrés, sont ici ternes, dégarnis à force de picages entre détenus. Ces bagnards arborent la tristesse de leur destin.
Voilà la réalité brute que nous avons révélée dans trois de ces élevages, et ils sont 1 500. La présence humaine est faible et les oiseaux sont livrés à eux-mêmes dans un univers sans enrichissement. Le nourrissage est automatisé, saturé de chimie. L’herbe a disparu sous les allers-retours des faisans rendus fous par la captivité. La terre est nue, ceinte de fils de fer doublés de filets de protection. Se jeter contre le grillage ne sert à rien, mais c’est leur principale activité. Le pire concerne les mâles reproducteurs, qui ne quitteront leur clapier ou volière qu’après deux ou trois ans de service, premier et dernier envol…
Souffrance animale, business cruel
Les amoureux de la nature évoqueront la majesté du faisan fourrageant une plaine, des troupes de perdreaux filant joyeusement derrière leur maman dans les jachères. Rien de cette liberté dans les élevages d’oiseaux destinés à la chasse, où la logique est industrielle : insémination artificielle et chaînes de tri automatisées pour les poussins nés en incubateur, loin de leurs parents. Au prime âge, les oiseaux vivront dans le noir durant des semaines (l’obscurité limite les agressions dans les concentrations d’animaux grandissant au sol, jusqu’à 50 par m2). Au stade juvénile, on appareille leur bec de plastique, contre les atteintes physiques dans ces élevages à haute promiscuité. En résultent douleurs aux cloisons nasales perforées, gênes dans la déglutition, parfois létales.
Depuis 70 ans, on élève en France des animaux uniquement destinés à la chasse. Espèces parmi les plus tuées par les chasseurs, faisans et perdrix en sont les principales victimes. 19 millions par an sont relâchés sans besoin d’autorisation et guère de contrôles. Or ces oiseaux, dont on travaille le profil génétique pour les rendre patauds et faciles à tuer, et qui seront relâchés après au moins 15 semaines d’élevage industriel, sont incapables de survivre dans la nature ! Face aux prédateurs, aux voitures, aux difficultés d’alimentation, aux maladies et bien sûr aux fusils qui les guettent, leur espérance de vie est très limitée. Alors, pour étoffer les tableaux de chasse, on perpétue, chaque année, cet immense et cruel gâchis.
Dans ces élevages à haute promiscuité, les oiseaux sont mutilés par des protections en plastique contre les coups de bec réciproques. Une souffrance déclinée par milliers…
Atteintes à la biodiversité
En évoquant des lâchers favorables au repeuplement, on se moque de nous : la plupart des oiseaux relâchés ne voient pas le printemps suivant. Et les effectifs d’oiseaux sauvages demeurent faibles, voire déclinent, surtout chez le faisan vénéré… Alors que chaque année on relâche en France autant d’oiseaux d’élevage qu’il en existe à l’état sauvage dans toute l’Europe ! Dire que des animaux sont décrétés nuisibles au prétexte de dégâts aux cultures, et que pour la chasse on relâche tant d’oiseaux qui, comme le faisan, sont amateurs de pousses, baies ou graines et fréquentent surtout les zones cultivées !
Tout ce business va surtout à l’encontre des besoins biologiques de ces oiseaux, faits pour vivre en faibles densités sur de vastes espaces. Ici, privés d’interactions sociales pour apprendre une vie « normale », endurant, l’œil affolé, cette longue et terrible chaîne de « maturation », ils finiront violemment attrapés, entassés dans des caisses de transport livrées aux sociétés de chasse pour y rester de longues heures jusqu’au lâcher vers la mort. Le frisson de quelques nemrods peut-il justifier cette souffrance organisée à la chaîne pour des millions d’oiseaux sensibles ? La cruauté qu’ils endurent dans de tels milieux concentrationnaires serait-elle légitime puisque, de toute façon, ils sont nés pour mourir ? Écœurant cynisme… Alors tant qu’à parler de bien-être dans les élevages, il faudrait commencer par ceux-ci, les pires.
Un non-sens sanitaire
Pratiqué à un niveau quasi industriel, ce type d’élevage inclut divers produits (anticoccidiens, vermifuges, vaccins, virucides, fongicides, bactéricides et antibiotiques) distribués dans l’alimentation et l’eau. Maladies et parasites sont néanmoins courants dans les élevages, mais nulle étude scientifique n’est menée sur le risque de contamination de la faune sauvage lié aux lâchers. Or leurs effets sont multiples : altération génétique des populations sauvages, impact sur les proies naturelles (insectes, escargots) et donc risques d’épidémies parmi les oiseaux sauvages, surtout si les lâchers sont conjugués avec l’agrainage pratiqué « pour densifier les populations naturelles ». Merci aux chasseurs !
1 Sources : Office national de la chasse et de la faune sauvage, Syndicat national des producteurs de gibier de chasse (SNPGC), Enquête ASPAS, « De la cage au carnage », novembre 2018.